Article de Joseph Rouzel
du 10 mars 2011
Il est plusieurs façons de rendre compte de ce métier de l’ombre dont les actes ne se voient pas au grand jour : éducateur. Soutiers du paquebot de l’intervention sociale, les éducateurs ont cependant un mal de chien à rendre lisible ce qu’ils fabriquent, à sortir les mains du cambouis du quotidien pour se faire entendre. Ce n’est pas faute d’essayer. Malheureusement, la plupart du temps les écrits de ces professionnels se noient dans la grisaille des rapports d’activité où fleurit la langue de bois. Mais d’aucuns, issus du métier, ont tenté l’aventure et fait œuvre de création, sans trop forcer l’imagination, au ras de la réalité vécue.
Claude Rouyer, lui, est déjà un vieux routard de l’éducation spéciale. Il a usé ses godillots dans la protection de l’enfance et exerce aujourd’hui comme formateur et directeur pédagogique dans un centre de formation, après un parcours universitaire où il a obtenu un doctorat en sciences de l’éducation.
Il s’y est lancé à son tour. Son roman Tu viens avec moi ? – titre tout fait pour emballer le lecteur ! – est ainsi plus vrai que vrai, tant la fiction possède cette vertu de dévoilement. Dans ce roman cousu main, au rythme qui ne se relâche jamais, tout y est : l’éducateur désabusé par la hiérarchie et le « système » mais qui n’a pas perdu son enthousiasme pour s’engager avec les minots (« son désenchantement était total. Lui qui rêvait de changer le monde, il prenait conscience de son impuissance. Son idéal s’était transformé en cauchemar ») ; l’assistante sociale sympa et branchée ; la psychologue « un chouïa guindée », lacanisée ; le directeur « qui se croit être, mais qui n’est pas » ; des jeunes qui en font voir de toutes les couleurs ; une mère de famille qui tient les travailleurs sociaux par la barbichette et les partenaires comme on dit : les flics, la justice, les profs et l’épicier du coin.
Le style de Claude Rouyer alerte et alerté se coule assez bien dans la grande tradition du polar. Ce livre met en lumière cette particularité du travail éducatif : ce sont des histoires de vie des dits « éducs » qui croisent, côtoient, accompagnent d’autres histoires de vie, celles des dits « usagers » (et parfois très usagés).
Et ces rencontres, d’amour et de haines, d’espoirs et de ras-le-bol, de surprises et de répétitions, de débrouillardise et d’injustice, de bricolages et de carcans administratifs, sur un fond de scène sociale de plus en plus féroce pour les plus démunis de nos concitoyens, chaînent un tissu vivant dont le roman donne à lire la trame la plus intime. Remercions Claude Rouyer d’avoir exhaussé le quotidien éducatif et ses petits riens qui ne se voient pas, au niveau de l’art. Du grand art. Voilà un livre qui, une fois que vous y êtes entré, ne vous lâche plus. À mettre au programme de toutes les formations d’éducateur.
Critique de Jérôme Vachon
du 31-12-2010
Responsable pédagogique d’une école de travail social, Claude Rouyer nous propose un récit drôle et sensible, dont l’intrigue prend place dans le champ social.
« Si tu n’as rien de mieux à faire que de lire ce bouquin, c’est que t’es pas surchargé de travail. »
Disciple autoproclamé de Frédéric Dard, de Michel Audiard et de Marcel Gotlib, Claude Rouyer n’hésite pas, au fil des pages de Tu viens avec moi ? à interpeller son lecteur. Histoire d’exprimer ses opinions sur l’éducation spécialisée, la protection de l’enfance et la vie en général. Il ne propose pourtant pas un précis de philosophie pratique à l’usage des travailleurs sociaux, mais bien un roman ayant pour cadre un service d’action éducative en milieu ouvert, dans une ville quelconque. Educateur spécialisé de formation, aujourd’hui directeur pédagogique d’une école de travail social, Claude Rouyer s’amuse, à travers cette histoire empreinte d’humour et d’humanité, à brosser à grands traits des portraits hauts en couleur. Il y a d’abord Michel, éducateur « à l’ancienne », costaud, bourru, mais loin d’être dénué de finesse. Il est épaulé par Julien, jeune éducateur, qui mesure chaque jour, non sans peine, le fossé séparant la théorie de la pratique en matière éducative. Cœur à prendre, Julien va croiser la route de Clara, assistante sociale débutante, avec qui il va faire cause commune – et plus si affinités – afin de protéger une petite fille en danger. Il y a enfin les « usagers », croqués avec une tendresse parfois acide, jamais méchante. On l’aura compris, pas question pour l’auteur, docteur en sciences de l’éducation, de se prendre au sérieux. Il en profite toutefois au passage pour rappeler, dans un langage parfois vert, quelques principes essentiels d’un travail social à visage humain.